Entretien avec Arnaud Dolmen

Jeudi 6 novembre, Arnaud Dolmen, fraîchement lauréat des Victoires de la Musique Jazz, viendra en duo avec Leonardo Montana pour jouer leur répertoire LéNo. À l’occasion de sa venue à l’AJMi, nous avons pu lui poser des questions sur son parcours de musicien, sa rencontre avec son binôme de scène et ce duo piano-batterie qui va faire bouger tout le monde de sa chaise.

 

Bonjour Arnaud, pouvez-vous vous présenter à notre public ? Quand et comment avez-vous commencé la batterie ?

 

Arnaud : Je suis Arnaud Dolmen, je suis né le 4 octobre 1985 donc je viens tout juste d’avoir 40 ans et j’ai grandi en Guadeloupe. À l’âge de 4 ans mes parents ont été mutés en Guadeloupe et j’ai grandi en Guadeloupe jusqu’à l’âge de 18 ans. Ce qui m’a amené à la batterie, c’est déjà la percussion. Quand j’étais tout petit, mes parents m’ont inscrits dans une école d’initiation à 2 ans et demi, trois ans et déjà à l’époque j’avais une aptitude et une envie de faire de la percussion. Et depuis mon enfance, je suis bercé par les rythmes caribéens et la pop caribéenne des Antilles françaises surtout, comme le zouk, le kompa mais aussi la salsa et tout ce qu’on écoute en général aux Antilles. À l’âge de 4 ans quand je suis retourné en Guadeloupe, mon oncle et ma grand-mère m’ont inscrits dans une école spécialisée dans la percussion guadeloupéenne et de là, est vraiment née ma passion pour cette musique et la musique dans sa globalité. De fil en aiguille, dans cette école j’ai appris la théorie musicale, les rythmes du gwoka. Le gwoka est la musique traditionnelle de la Guadeloupe. Puis à l’âge de 11 ans on m’a inscrit à la batterie et c’est comme ça que je suis devenu batteur. Dans cette école, il y avait le cursus pour les enfants et quand on avait un petit niveau, on pouvait jouer avec d’autres personnes et donc on intégrait un groupe d’élèves, un orchestre qui s’appelait Kimbòl. C’est là que j’ai fait un peu mes premières armes en tant que musicien et en tant que batteur. Petit à petit, j’ai continué les cours de batterie, je me suis passionné pour la musique. Au lycée j’ai rencontré deux ou trois amis, qui étaient vraiment passionnés de jazz et ayant le bac, je suis allé à Toulouse. À la base pour faire des études de comptabilité (rires) et en parallèle j’ai fait l’école Dante Agostini, qui est une école spécialisée dans la batterie. Finalement j’ai eu mon diplôme et j’ai déménagé à Paris, et petit à petit j’ai fait pas mal de rencontres en tant que musicien et voilà aujourd’hui je vis pleinement de ma musique. 

 

Quels sont les artistes qui vous ont inspiré et continuent de vous inspirer dans votre carrière de musicien ? 

 

Arnaud : La première personne qui m’a initié au jazz, c’est mon professeur de musique en Guadeloupe Georges Troupé, qui était vraiment un passionné de gwoka mais aussi de jazz. C’était quelqu’un de très ouvert d’esprit. Il écoutait pas mal Sonny Rollins, comme il était saxophoniste il avait une attirance spéciale pour les saxophonistes de jazz, comme Charlie Parker. Mais il me faisait aussi écouter beaucoup de batteurs de jazz comme Max Roach ou Elvin Jones, des batteurs légendaires quoi. C’est vraiment lui, la première personne qui m’a mis dans le jazz et qui m’a fait écouter mes premières notes de jazz. 

Les musiciens des Caraïbes sont une grande source d’inspiration pour moi, comme Alain Jean-Marie ou même des plus anciens comme Emilien Antile, mais aussi des musiciens qui viennent du Gwoka moderne, avec des instruments harmoniques, comme Gérard Lockel ou Christian Laviso. On va dire que les premières personnes qui m’ont inspirées sont ces personnes. Et puis j’ai rencontré un ami pianiste, Jonathan Jurion, que je considère encore aujourd’hui comme mon meilleur ami, qui m’a fait découvrir des artistes plus modernes comme Pat Metheny. Quand je suis arrivé à Toulouse, au contact des autres étudiants j’ai fait des découvertes musicales et ce que j’aime dire, c’est avec les gens avec qui je joue que je continue. Je ne peux pas dire qu’il y a qu’un seul artiste qui m’a influencé, mais j’ai envie de dire que c’est plutôt la somme de plusieurs artistes, entre les collègues de travail, les musiciens américains et venus d’ailleurs. Mais aussi le fait d’être venu à Paris, qui est une ville cosmopolite, on voyage vraiment en étant sur place. Il y a tellement de musiciens venus de partout à Paris et on apprend toujours d’eux.

Vous avez remporté les Victoires de la Musique Jazz 2025, dans la catégorie instrumentiste, que représente une telle récompense ?

Arnaud : De toute façon, dès qu’il y a de la reconnaissance et de l’amour, c’est important. Partant de ce principe, ça fait toujours plaisir d’être reconnu par ses pairs et par un public. Mais avant tout, je suis un passionné de musique et avoir ce genre de récompense, c’est une étape pour continuer à aller plus loin et donner encore plus d’espoir pour vivre ses rêves. Ça me donne encore plus envie de croire en mes rêves. C’est comme ça que je le vois, c’est quelque chose de vraiment gratifiant. C’est aussi toujours un peu une surprise de recevoir ces prix. Au final, dès notre nomination on est déjà super heureux et plus on approche du prix, plus on espère la remporter. On est humain, donc on a toujours un petit espoir d’avoir ces prix mais quand on l’a, on se dit ‘wow’ et c’est vraiment la bonne surprise. C’est génial comme sensation. Après c’est vrai que mon année 2024-2025 a été remplie d’événements, entre des albums, des créations, entre des masterclass, des collaborations, il y a eu beaucoup de choses donc je suis très heureux de tout ça à vrai dire.

LéNo c’est votre duo avec Leonardo Montana, comment vous êtes-vous rencontrés et comment est né ce projet ?

 

Arnaud : Leo, c’est la magie de Paris j’ai envie de dire (rires). Quand je suis arrivé à Paris, dès ma première répétition pour une chanteuse qui s’appelle Charlotte Wassy, on a monté un groupe et on s’est rencontré dans ce groupe. C’était en 2009 et je venais juste d’arriver à Paris. Je le connaissais déjà d’avant, parce que lorsque je faisais des aller-retours à Paris, je le voyais jouer dans des clubs de jazz et j’étais tout le temps impressionné. C’est un pianiste hors normes. C’était quelque part pour moi un rêve de jouer un jour avec lui et de devenir son ami. Et voilà, en 2009 Charlotte nous a réunis et la connexion s’est faite tout de suite pour plusieurs raisons. Déjà musicalement on entendait les mêmes choses, je pense qu’on écoutait les mêmes choses et puis aussi il parle Créole. Car Leo il a un peu vécu en Guadeloupe et il connaissait pas le Gwoka spécifiquement, mais il connaissait un peu les musiques de la Guadeloupe.  Puis il a grandi au Brésil jusqu’à son adolescence, donc il avait un peu ces musiques là dans l’oreille. Donc oui, il y a plusieurs choses qui ont fait que la connexion, avec le recul, était évidente et depuis ce jour-là, on s’est plus lâché. On a été très potes de suite, on nous a appelés pour accompagner plein d’artistes et on s’est retrouvé dans plein de groupes ensemble. Quand j’ai décidé en 2015 de monter mon quartet, je lui ai proposé d’en faire partie et il m’a fait l’honneur de s’y investir. À la sortie de l’album, peut-être en 2018, on m’appelle pour présenter l’album dans une soirée littéraire avec l’écrivain Dany Laferrière mais ils n’avaient pas beaucoup de budget pour faire venir le quartet. Donc j’ai demandé à Leo si ça lui disait de venir avec moi, pour essayer de jouer la musique du quartet en duo, de là est vraiment né LéNo. On s’est pris de passion à faire ça et au fur et à mesure, les opportunités sont arrivées. On nous a appelés dans plein de salles et festivals. Petit à petit on a créé notre répertoire vraiment spécifiquement pour le duo et donc c’est comme ça que ça a commencé et on a enregistré l’album, si je ne dis pas de bêtises en 2023 et l’album est sorti l’année d’après.

D’où tirez-vous vos inspirations pour cet album ? Comment avez-vous travaillé ensemble pour écrire les compositions ?

Arnaud : Les compositions sont de nous deux. Leo a composé certains morceaux, j’en ai composé d’autres et on a aussi composé des morceaux ensemble. On y fait aussi des reprises, notamment de morceaux qu’on aime beaucoup, d’artistes de jazz comme Wayne Shorter. On a fait aussi une balade d’un morceau d’un musicien argentin, qui s’appelle Pedro Aznar. La musique que l’on fait, elle est spéciale car déjà nous ne sommes que deux. On a eu de la chance d’avoir pas mal de temps de répétition et de se voir beaucoup pour réfléchir à une musique qui ne remplace pas par exemple un contrebassiste, mais pour créer une musique avec les instruments tels qu’ils le sont. Notre répertoire est jazz, il a beaucoup d’influences, les miennes caribéennes et celles de Leo brésiliennes et ce qui nous relie là-dedans, c’est le jazz. On a fait notre sauce avec tout ça. Dans cet album, on traite de différents sujets, à la fois on rend des hommages à des maîtres mais aussi on traite de sujets de société. Comme avec le titre ‘les invisibles’, qui parle des personnes qui sont là autour de nous, qui font la plupart du boulot pour que notre société fonctionne, qu’on ne voit pas ou qu’on ne veut pas voir, ou qu’on dénigre en fait. Sur cet album, on traite de ce genre de sujets.

Pourquoi est-ce important de mélanger vos racines et celles de Léonardo dans ce projet ?

Arnaud : Est-ce que c’est une volonté (rires) ? Je ne sais pas, parce que comme c’est ce qu’on est finalement, est-ce que c’était vraiment intentionnel ? D’abord ce qu’on a fait c’est de faire de la musique à partir de ce qui nous touche. Leo a grandi au Brésil et donc il a cette sensibilité, moi je viens de la Guadeloupe, des tambours et chants traditionnels, donc c’est quelque chose qui est déjà en nous au départ. Après s’il y a un message à faire passer avec tout ça, c’est juste au delà de ces influences, la musique qu’on propose c’est avant tout du jazz, avec des harmonies jazz, voire même venues du classique ou de la musique contemporaine. Le jazz est universel et moi, je vois ça comme des accents, de la même manière que je parle français avec mon accent de Guadeloupe et avec mes particularités. Leo a son accent, parce qu’il parle plusieurs langues, donc son accent lui est propre. Ppour moi c’est ça, on joue du jazz avec nos accents particuliers et nos influences communes, et on essaye de composer et d’improviser autour de ça. La particularité de ce duo, c’est que c’est une musique assez libre, mais avec des contraintes. C’est à dire, que c’est pas non plus une musique ultra libre, mais on essaye d’être libres dans la contrainte et c’est ça qui est un challenge. C’est en même temps stimulant car on est obligés de se surpasser quelque part et ça nous fait progresser. Ce projet, personnellement, me fait progresser énormément, y compris pour d’autres projets musicaux. Ne serait-ce que parce que le son de la batterie en acoustique avec piano me force à faire attention à mon volume sonore. Y compris pour Leo, c’est une machine et il doit être hyper précis rythmiquement. On a vraiment des contraintes que l’on ne retrouve pas lorsqu’on est dans un quartet, où l’on se repose sur la basse ou le saxophoniste par exemple et c’est ce qui est génial avec ce duo.

Est-ce que c’est votre premier concert à Avignon ? Qu’attendez-vous de ce concert ? 

Arnaud : On est déjà venus respectivement avec d’autres formations. Je suis passé en août au Avignon Jazz Festival aux côtés de Jacques Schwarz-Bart. Chaque concert est différent et finalement le concert on le fait ensemble, avec l’énergie du public, l’ambiance et l’acoustique de la salle et pour nous, c’est toujours un cadeau d’être sur scène. C’est une nouvelle expérience à chaque fois pour le public qui ne nous connaît pas, mais même pour le public qui connaît ce duo, ce sera toujours une nouvelle expérience. C’est presque un devoir. On essaye toujours de se surprendre, de faire quelque chose de nouveau et de différent, et avec l’énergie du public.

Pourquoi le public doit-il venir ?

Arnaud : Venez découvrir, pour ceux qui ne connaissent pas, soyez curieux, ne soyez pas effrayés par la formation batterie-piano. Franchement soyez curieux et vivons ensemble cette expérience unique.

 

LéNo, un duo haut en couleurs, à retrouver ce jeudi 6 novembre à 20h30 à l’AJMi. Infos & réservations, en cliquant ici.