David Murray 4TET – Birdly Serenade : Entretien avec David Murray

Nous avons le grand plaisir d’accueillir David Murray et son quartet, à l’occasion d’un concert unique au Théâtre du Chêne Noir, le dimanche 9 novembre 2025. À l’occasion de ce concert, réalisé en co-production avec nos voisins du Chêne Noir, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec David Murray. Plongez dans l’univers aux multiples facettes de ce grand saxophoniste et de son dernier album, Birdly Serenade.

 

Comment pourriez-vous vous présenter à notre public ?

David : Ma carrière commence à être assez longue. Je suis venue à New York pour la première fois il y a environ 30 ans, 25 ans exactement, avant d’emménager à Paris pour 22 ans avant de revenir à New York. Je joue du saxophone depuis mes 9 ans et j’ai grandi en jouant de la musique à l’église. Ma mère était la cheffe d’orchestre de l’église et également pianiste et organiste, mon père lui jouait de la guitare. Tout le monde jouait d’un instrument dans la famille, et quand ce fut à mon tour de jouer d’un instrument, tous les instruments étaient déjà pris sauf le saxophone. Donc on m’a prêté un saxophone et j’ai commencé à en jouer. Après quelques années, j’ai commencé à jouer en dehors de l’église et j’ai eu de nombreux groupes dans des styles différents : des groupes de R&B, de blues, de rock. J’ai joué vraiment dans beaucoup de formations. À une époque j’avais même des lumières sur mon instrument et une pédale d’effets Wah Wah, comme sur les guitares. C’était d’ailleurs l’une des obsessions de Jimmy Hendricks.

 

Quels sont les musiciens qui vous ont inspiré tout au long de votre carrière de saxophoniste ?

David : Il y en a eu beaucoup mais initialement ce fut surtout Coleman Hawkins qui m’a inspiré, car c’était quelqu’un de très instrumental et qui a largement contribué à l’émergence du saxophone dans le jazz et surtout du saxophone ténor. Il y a aussi Tab Smith, des gens de ce type, qui sont des pionniers dans l’art de jouer le saxophone jazz. Évidemment, je pense aussi à Paul Gonsalves, Duke Ellington, Sonny Rollins et Wayne Shorter, que les meilleurs saxophonistes. J’ai étudié et admiré tous ces grands saxophonistes. 

 

Avec votre carrière prolifique, quel regard portez-vous sur la scène jazz actuelle ? Qu’est-ce qui continue de vous inspirer et de nourrir votre amour du jazz ?

David : Pour moi, c’est important d’écrire des musiques et de leur donner vie. J’écris beaucoup et notamment des paroles. Le rythme des paroles, la plupart du temps, me guide vers les mélodies des morceaux que je compose. Par conséquent, beaucoup de mes compositions sont initialement écrite à la manière de chansons, et c’est quelque chose dont une bonne partie des musiciens jazz de nos jours semblent s’être affranchis. Mais je suis de la vieille école et j’aime écrire mes morceaux de la même manière qu’une chanson. Le matériel mélodique m’inspire et j’aime lui donner vie sur scène.

J’ai lu beaucoup de poésie dans ma vie, du théâtre en passant par le spoken word et les poèmes révolutionnaires. J’ai aussi travaillé avec des gens comme Amari Baraka, Ishmael Reed et j’ai traduit leurs poèmes en musique, c’est d’une certaine manière ce qui m’a conduit à faire ce que je fais aujourd’hui avec Birdly Serenade. Les textes parlent aux gens et mon saxophone les leur explique. 

 

Votre nouvel album, Birdly Serenade, rend d’une certaine manière hommage à la nature et aux oiseaux, mais j’ai entendu dire qu’il avait surtout été inspiré par les poèmes de votre femme, Francesca Cinelli. Pouvez-vous m’en parler ? Comment est né cet album ?

David : C’est vrai que mon inspiration première fut Francesca Cinelli. Elle a été invitée à une retraite d’écrivains, dans les Adirondacks et elle m’a invité à l’accompagner. Sauf que je n’avais rien à y faire. Je n’avais vraiment rien de prévu durant cette retraite et Randall Poster, qui est le producteur et créateur du Birdsong Projet, a demandé à Francesca et moi de faire quelque chose au sujet des oiseaux. C’est un homme remarquable dans l’industrie du cinéma et de la musique. Il a travaillé avec des gens formidables comme Wes Anderson, Scorsese et d’autres, donc c’était un plaisir d’accepter sa proposition. Une fois arrivé dans cette retraite d’écrivains, je ne savais pas par où commencer alors j’ai demandé à Francesca d’écrire des poèmes avec lesquels je pouvais démarrer ce projet. Je ne peux pas vraiment dire que le projet est de mon fait, mais qu’il est surtout sa vision des oiseaux et je n’ai fait que la traduire en musique. Elle m’a beaucoup aidé en écrivant le premier poème, qui correspond au morceau ‘song of the world’ et puis quand j’ai plongé dans ce poème, j’ai commencé à écrire une musique autour de celui-ci, qui lui rend hommage j’espère et c’est comme ça que tout a commencé. Ça a été ma source d’inspiration pour tout l’album, même pour les morceaux purement instrumentaux. Ça a été le point de départ de l’esprit de cet album et puis je me suis procuré un mangeoire à oiseaux que j’ai disposé dans la chambre et ça m’a aidé pour le travail en studio. Il n’y avait presque pas d’oiseaux là où nous étions, car beaucoup avaient déjà migré vers le sud. Francesca a écrit au sujet de ces oiseaux que l’on pouvait voir et qui plongent au-dessus de l’eau, car il ne restait que de ces oiseaux très spéciaux. Par conséquent, c’était encore plus important de me concentrer sur les textes et les pentamètres des vers.

 

Quels ont été les défis que pose la traduction des poèmes vers la musique ? Comment avez-vous procédé ?

David : Chaque syllabe a un rythme, que l’on appelle pentamètre ïambique et lorsqu’on écrit de la musique, ces pentamètres sont traduits en rythmes. Ensuite, tout ce qu’il me reste à faire c’est de créer le rythme qui se traduit de lui-même autour des mots. Quand je parle de syllabes, je parle de ces pentamètres syllabiques qui sortent de notre propre bouche et alors il faut visualiser ces mots comme des sons dans leur prononciation et leur lecture, ça a été ça mon procédé. Ce qui m’a permis d’arriver au concept même de l’album. Il a évolué au fil des poèmes que Francesca a écrit. Le concept a grandi et je me suis mis au boulot et de là ça a été plus facile. Lorsque ça a été le moment de passer au studio d’enregistrement et de l’enregistrer, et je laisse toujours un espace pour cela, j’ai laissé la place à ce que je n’avais pas écrit au préalable. Il y a toujours quelque chose de magique qui se produit au studio et je veux garder un peu de place pour que cette magie opère, c’est comme ça que j’ai pu composer ‘Nonna’s Last Flight’ et ‘Black Bird’s Gonna Lite Up The Night’. Ces morceaux, je les ai écrits en étant au studio d’enregistrement. Comme j’ai observé et travaillé dans ma vie avec des gens formidables comme Don Pullen, j’ai vite constaté qu’il y a toujours un morceau qui naît de l’énergie qui émane du travail en studio. Parfois, ce morceau est l’un des meilleurs si ce n’est le meilleur morceau d’un album. Donc je me repose aussi sur la combustion spontanée qui se produit entre les musiciens dans les studios d’enregistrement et j’essaye de mettre cela en musique, avant même que nous ayons vraiment démarré l’enregistrement de l’album. L’écriture me permet l’improvisation, et non l’inverse. Je ne peux pas composer en même temps que je joue, j’ai besoin de mes mains pour faire les deux. Je ne crée pas en même temps que je joue. Beaucoup de personnes ont d’ailleurs cette idée faussée du jazz, comme étant une musique qui s’écrit en même qu’elle est jouée. Personnellement, je ne fais pas ça. J’ai besoin de matière pour que je puisse m’exprimer et donc, j’écris.

 

Vous avez enregistré cet album avec votre quartet. Comment avez-vous rencontré Marta, Luke et Russell et comment s’est formé le groupe ?

David : C’est Luke que je connais depuis le plus longtemps. Il jouait dans un groupe où mon fils Mingus était guitariste, le frère de Russell en faisait d’ailleurs partie. C’est comme ça que je l’ai connu. Nous avons tous joué à un moment ensemble. Quand j’ai voulu former ce quartet, j’ai rencontré Marta dans un festival à Pampelone en Espagne, le festival Running up the Bulls. Nous avons d’abord joué en duo et c’est une formidable pianiste. Le dernier à avoir attiré mon attention, c’est Luke Stewart, qui est très actif en politique autant que dans sa carrière de contrebassiste, il me rappelle un peu Fred Hopkins à certains égards. Francesca a été celle qui me l’a fait remarquer après l’avoir entendu jouer. Et nous avons ensuite entamé une collaboration. Tous ces musiciens ont de belles carrières chacun de leur côté, donc j’ai la chance d’avoir une machine de guerre musicale à mes côtés. À ce stade de ma vie et de ma carrière, ils ont de l’estime pour moi et des attentes, et je me dois d’utiliser mon expérience en tant que leader pour faire de ce quartet l’un des meilleurs quartet de jazz. J’ai joué avec beaucoup de musiciens formidables, certains ne sont d’ailleurs plus de ce monde. Mais maintenant, j’ai ce quartet et je veux essayer d’en faire le quartet numéro de cette époque, qui durera le plus longtemps possible.

 

S’agit-il de votre première fois à Avignon ? Quelles sont vos attentes pour ce concert ?

David : Non, j’ai déjà joué plusieurs fois à Avignon. Quel est l’endroit où nous jouons ? Théâtre du Chêne Noir ? Dans mes souvenirs c’est l’endroit où une dame formidable nous a fait de délicieux repas marocains. Dans tous les cas, j’ai effectivement déjà joué à Avignon avec d’autres de mes trios et quartets. Je ne suis pas étranger d’Avignon.

Mes attentes sont de présenter la plupart voire tous les morceaux de l’album, ce serait fantastique. Surtout les morceaux vocalisés par Francesca. Elle viendra sur scène et interprétera ‘Oiseau Paradis’ ainsi qu’un autre morceau. Elle déclamera de la poésie et elle fera aussi une version française de ‘Baia’, un morceau écrit avant cet album et qui inspire beaucoup le groupe. Le groupe l’apprécie et je pense que cela apporte de la vitalité et de la spontanéité au groupe.

 

Si vous deviez dire quelque chose à notre public, que lui diriez-vous ? Pourquoi doivent-ils venir au concert ?

David : Je pense qu’ils devraient venir voir ce que Francesca et le groupe ont créé avec Birdly Serenade. Je voudrais qu’ils viennent avec des oreilles ouvertes et qu’ils s’attendent à des surprises, je vais donner le meilleur pour préparer ce concert, ce sera l’un des derniers de la tournée si je ne me trompe pas et je pense que le groupe sera en feu. J’espère que nous serons tous inspirés par ce moment. L’idée c’est qu’un concert conduit à un autre, cela créé toujours quelque chose de nouveau et je trouve cela magnifique.

 

DAVID MURRAY 4TET

David Murray : saxophone ténor
Marta Sanchez : piano
Luke Stewart : contrebasse
Chris Beck : batterie

David Murray Quartet à retrouver sur la scène du Théâtre du Chêne Noir, le dimanche 9 novembre à 18h00. Le groupe interprètera Birdly Serenade, le dernier album de David Murray déjà disponible en écoute sur les plateformes de streaming. Billetterie et réservations : www.chenenoir.fr